Dans les rues bondées de Hong Kong, il faut slalomer entre les passants et les stands. Gare à vos pieds, les Hongkongais n’ont pas peur de marcher dessus !
Vous râlez contre les Français malpolis ? Attendez de mettre les pieds à Hong Kong. Vous allez comprendre très vite que le mot « politesse » n’a pas les mêmes définitions à chaque endroit du globe…
Une scène quotidienne à Hong Kong : ça se passe à Central, le cœur de la ville. Plus précisément, devant l’un de ces innombrables buildings qui peuplent la New York asiatique. Six lourdes portes en fer et en verre, ouvertes par des dizaines de personnes pressées sur le chemin du travail (ou du shopping, premier sport national). Le flot des passants est ininterrompu. Une femme enceinte pousse un peu difficilement un landau et n’arrive pas à se faire une place pour ouvrir l’une des portes. Elle gène le passage, mais tout le monde la contourne sans lui prêter attention. Au bout d’une minute, un peu surprise, je suis allée lui ouvrir la porte moi-même. Médusée, elle a tout juste pensé à me faire un signe de la tête pour me remercier. Sur le coup je me suis demandée si je n’avais pas quelque chose sur le visage, ce qui expliquerait son air étonné. En réalité, ce qui la surprenait, c’était juste ma courtoisie.
Cette longue introduction pour en arriver à une information importante pour les voyageurs qui se dirigent vers Hong Kong : nous n’avons pas du tout la même définition de la politesse. Une française d’origine chinoise, installée à Hong Kong, donnait une conférence sur le sujet.
Mais attention, penser qu’étiquette et Chinois ne vont pas ensemble serait une erreur. Le monde chinois est très protocolaire. Tout est codifié. Comme presque toujours en Chine, ça commence avec Confucius – ou presque. Nous sommes environ 500 ans avec J.-C., Confucius vit à une époque de chaos social et de guerres intestines entre les seigneurs locaux. Nostalgique d’une époque où le prince gouvernait par bienveillance et non par avidité, il reprend les textes classiques et met au point une doctrine sociale et politique codifiant les rapports sociaux, qui marque, aujourd’hui encore, le monde chinois.
Certains clichés font des Asiatiques des sages à longue barbe blanche… À Hong Kong, un soir de pluie, dur de trouver un taxi. La politesse est remisée au placard
et ça râle ferme sur les trottoirs (pas si différent de Paris, en fin de compte !)
Bienveillance et bienséance, la base de la politesse chinoise
Le Ren, la bienveillance, et le Li, la politesse, sont les deux faces d’une même médaille qui permet à l’homme qui s’en donne la peine d’atteindre la « noblesse de cœur ». Confucius, dans un souci d’harmonie et de paix sociale, codifie presque tout : les relations entre le prince et son sujet, entre le père et son fils, entre l’ainé et le cadet, entre le mari et la femme, font l’objet d’instructions très spécifiques qui imprègnent encore très fortement la société chinoise.
Dans le monde du travail, par exemple, impossible de quitter son lieu de travail avant son supérieur, sauf si celui-ci montre des signes de fatigue : pour lui épargner l’aveu de cette faiblesse, l’employé demande à s’en aller, permettant au chef de quitter le travail tout en maintenant la face.
« Maintenir la face ». Ces trois mots, qui ne veulent pas dire grand chose en France, sont essentiel pour qui veut comprendre la culture chinoise. Rien n’est plus important que de maintenir la face.
La Française qui donnait la conférence expliquait que chaque Chinois gère ses relations selon la règle des trois sphères. La première sphère est celle de la famille et repose sur la séniorité. Respect et obéissance aux ancêtres. Cela fait longtemps que le monde occidental a oublié ça.
La deuxième sphère englobe toutes les autres connaissances, les amis, les collègues, et repose sur un principe de réciprocité. Là, ça se corse. La conférencière racontait que sa mère (vivant en France) lui avait demandé de se porter caution pour de vagues connaissances, basées à Hong Kong, qui essayaient d’ouvrir un business et d’obtenir un prêt bancaire. Se porter caution pour de parfait inconnus, juste parce qu’ils connaissent votre mère et lui ont demandé un service, ça vous viendrait à l’esprit ? Moi non plus. Sauf que d’un point de vue chinois, expliquait la conférencière à l’auditoire atterré (dont moi), si on peut rendre service, il faut le faire. Sinon on perd la face.
La troisième sphère, enfin, comprend tous les autres, les inconnus, les étrangers. Confucius, sans doute épuisé de la codification intense à laquelle il s’était adonné pour les sphères 1 et 2, ne s’est pas trop occupé de la dernière. Chacun peut donc faire ce qu’il veut. Si le Chinois se montre donc incivil avec un inconnu, c’est parce qu’il n’a pas d’obligation morale à être poli avec lui. Théoriquement, il est censé appliquer les principes de bienveillance et de bienséance, le « ren » et le « li » évoqués plus haut. Mais entre la théorie et la pratique…
« You want a piece of me? » Pas de délit de faciès : impoli ne veut pas dire agressif. Deux secondes après cette photo, il m’adressait un grand sourire !
La société a beaucoup changé, mais ces principes de relations humaines, ancrés depuis 2500 ans, restent très présents. Rejeté par la Chine communiste et Mao Zedong, qui voyait dans cette doctrine un frein pour l’évolution de la société, le confucianisme a été réhabilité avec succès à la fin du XXe siècle, notamment par le précédent président chinois, Hu Jintao. Par méconnaissance de ces principes, les Occidentaux commettent de nombreux impairs, sans comprendre où ils ont fauté. Par exemple, une erreur fréquente des patrons occidentaux est de vouloir rendre les relations plus égalitaires, ce qui désempare les Chinois et produit de mauvais résultats. Conclusion de la conférencière : « dans le monde chinois, il est conseillé de tenir son rang ».
Quelques règles de politesse à la chinoise
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