Les Japonais possèdent sept niveaux de politesse différents. Nous avons le « tu » et le « vous », eux utilisent cinq autres manières de s’adresser à quelqu’un, en fonction du statut social et professionnel. En visitant la Corée, je me suis rendu compte encore une fois que les Coréens et les Français ont quelques points communs : une haute opinion de nous-mêmes, la conviction que notre cuisine est la meilleure du monde, la culture de l’alcool, un certain sens de l’élégance (croyons-nous…) et une sacrée capacité à se regarder le nombril !
S’ajoute à cette liste la politesse. Comme les Francophones, les Coréens utilisent deux types de langage en fonction de leur interlocuteur. En français, nous n’avons finalement que le « tu » et le « vous » pour indiquer à quel point on connaît quelqu’un et comment on se situe par rapport à cette personne : « tu » avec la famille, les amis, les gens du même âge. « Vous » avec les inconnus et les supérieurs hiérarchiques. En Corée, cette différence existe, mais elle est encore plus marquée et elle s’imprègne totalement dans le langage : le vocabulaire change, la grammaire s’adapte, la syntaxe évolue. Il y a deux genres de discours : le « banmal », qui est familier, et le « jondaemal », qui est formel. Concrètement, le jondaemal nécessite l’emploi de plus de mots, rallonge les phrases et les mots, et est plus compliqué que le banmal. Quel discours utiliser avec qui ? C’est là que les choses se compliquent !
Entre copines, la règle est la même en France et en Corée : la familiarité !
La Corée est un pays dans lequel le respect des conventions sociales est très important, bien plus qu’en France où une certaine dose d’irrévérence est la marque des gens cool. Ce respect passe en grande partie par la langue. En employant la forme formelle du langage, on démontre le respect qu’on témoigne à son interlocuteur. Mais ce respect s’accompagne aussi de distance. À l’inverse, le banmal signifie que l’on est proche de son interlocuteur. Mais quand cette intimité n’a pas lieu d’être, l’usage du familier devient grossier, comme le « tu » français peut être insultant.
La grande question est donc : à partir de quand peut-on passer du formel à l’informel ? Au sein des familles, les enfants et leurs parents préfèrent généralement la familiarité, ce qui semble évident d’un point de vue français. Pourtant, il y a des familles dans lesquels les enfants s’adressent à leurs parents de façon formelle. Certains couples mariés préfèrent même conserver l’emploi du jondaemal, ce qui paraît surréaliste pour un Français et donne un petit parfum d’aristocratie désuète. Dans le monde professionnel, là encore, la forme du discours reflète la position sociale : le patron parle à ses employés familièrement, en banmal, et ceux-ci lui répondent avec les formes, en jondaemal. Quand on rencontre quelqu’un pour la première fois, le jondaemal est la règle, un peu comme le « vous » nous vient spontanément aux lèvres. Mais si l’un des deux est beaucoup plus âgé que l’autre, alors il pourra « simplifier » son langage, c’est-à-dire passer au banmal.
L’âge a d’ailleurs une importance particulière pour les Coréens. Un homme appelle une femme plus âgée que lui « noona », ce qui signifie « grande sœur », et ce même s’ils n’ont aucun lien de parenté. C’est une manière d’exprimer leur proximité, mais aussi le lien de respect du plus jeune vers la plus vieille. Les femmes appellent les hommes plus âgés « oppa », « grand-frère ». Entre deux femmes, la plus jeune appelle la plus âgée « unni ». Entre deux hommes, c’est « hyung ». À l’université ou dans le monde du travail, les plus jeunes sont censés appeler leurs ainées « sunbae ». Dans ce cas, ce n’est plus l’âge qui sert de référentiel, mais le niveau d’expérience. Du point de vue d’un Occidental, s’adresser à un Coréen dans sa langue maternelle devient donc très complexe ! Sommes-nous assez proches pour passer au banmal ? Et pour utiliser « oppa » ou « noona » ? Tout est une question de distance et de position sociale. Bref, si vous décidez d’apprendre le coréen, attendez-vous à quelques moments de solitude !
Exemple avec le drama coréen Bad Guy, diffusé en 2010 : au début, l’héroïne utilise le banmal volontairement, dans le but de montrer son mépris envers le héros. Mais ce manque de distance finit par les rapprocher réellement et joue un rôle dans la romance qui suivra.
Dans les drama, les séries coréennes, et en particulier quand l’histoire est romantique (c’est-à-dire presque tout le temps !), l’emploi du jondaemal et du banmal, et surtout, le passage du premier au second, est souvent l’un des éléments clefs de la romance. Les deux protagonistes, ne se connaissant pas au début, commencent par se parler de façon formelle. L’évolution de leur relation s’illustre alors dans la forme du discours qu’ils emploient. Le fait de passer au banmal est révélateur d’un changement de la nature de leur relation : le respect n’a plus besoin de s’imprimer dans le langage et ils se sentent assez proches l’un de l’autre pour employer la langue la plus simple et la plus directe. C’est aussi un moyen de signifier au reste de la société ce rapprochement. C’est donc lourd de significations.
Ce qui est intéressant, c’est que le choix du discours est plus significatif en Corée qu’en France. Dans le monde professionnel, selon les secteurs, on passe assez vite au tutoiement. Dans les médias, par exemple, la règle est de se dire « tu », même à ceux que l’on connaît à peine. Il m’arrive de tutoyer des personnes dont je ne me souviens même plus du prénom (je n’ai malheureusement aucune mémoire des noms). En Corée, utiliser le banmal prouve qu’il y a une véritable proximité, ce n’est pas factice comme peut l’être le tutoiement français. Le système coréen est plus complexe que le nôtre. Au-delà du banmal et du jondeamal, il y a sept formes de discours différentes, pour 14 combinaisons possibles.
Pour un Occidental, c’est un véritable casse-tête : comment savoir à partir de quand on peut devenir informel avec quelqu’un ? Heureusement, d’après la blogueuse JavaBeans, les Coréens prennent généralement l’initiative d’établir la forme du discours à employer, en demandant à leur interlocuteur de leur parler « simplement », c’est-à-dire familièrement. Son conseil, cependant : dans le doute, toujours préférer la formalité ! Il vaut mieux être un peu trop poli, que carrément impoli !
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1 Comment
« les Coréens et les Français ont quelques points communs : une haute opinion de nous-mêmes »
Ca me rappelle une personne qui enseigne le coréen, quand on lui faisait remarquer les similitudes entre le coréen et le japonais, elle n’a pas tremblé en nous répondant qu’en fait, c’est les Coréens qui avaient appris à parler aux Japonais :-)))
J’ai jamais entendu un Français dire que c’est nous qui avions appris à parler au Italiens ou aux Espagnols…